Le montant maximal de la réparation financière des agressions sexuelles dans l’Église est fixé à 60 000 €. Les premiers versements décidés par l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) interviendront d’ici à fin juin.
Six mois après sa mise en place, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), voulue par l’Église de France, est en mesure de verser dans quelques jours les premières réparations financières aux victimes d’agressions sexuelles dans le cadre ecclésial. Depuis le 31 janvier, 736 personnes se sont manifestées auprès de l’Inirr, avec des demandes très variables, un peu plus de la moitié souhaitant une réparation financière.
Si l’argent n’est pas le seul levier d’une justice réparatrice, c’est un des éléments que les évêques ont eu quelques difficultés à définir par le passé. La création de cet organisme indépendant est une des pièces maîtresses des mesures prises par la Conférence des évêques de France (CEF) à la suite du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), rendu public le 5 octobre dernier.
Présidente de l’Inirr, Marie Derain de Vaucresson a présenté lors d’une conférence de presse, mercredi 1er juin, la procédure de réparation financière mise en place, qui pourra aller jusqu’à attribuer un montant maximum de 60 000 € aux victimes d’agressions sexuelles, un plafond identique au barème fixé par la Commission reconnaissance et réparation (CRR), qui accompagne les victimes d’agressions commises par des religieux.
Toutefois, et même si ce chiffre est supérieur aux indemnisations accordées par la justice civile, « la réparation financière ne sera jamais à la hauteur de ce qu’a subi la victime », a reconnu Marie Derain de Vaucresson. La présidente a ensuite détaillé les critères d’évaluation mis en place par l’Inirr selon trois axes : la gravité des faits d’agression sexuelle, la gravité des manquements de l’Église, la gravité des conséquences sur la santé, « au sens de l’Organisation mondiale de la santé, précise la présidente, à savoir l’état complet de bien-être physique, mental et social ».
Des niveaux de 1 à 10 sont déterminés pour chaque axe, ce qui pourra aider à « objectiver » les situations, en tenant compte aussi d’éventuels facteurs aggravants comme un contexte d’emprise ou encore des difficultés relationnelles persistantes. Cette évaluation est réalisée par un collège de 12 experts réunissant aussi bien des juristes, magistrats, que des cadres de santé, un neuropsychiatre ou encore le père Jean-Luc Souveton, ancienne victime et prêtre formé à l’écoute. Le collège prend les décisions finales, qui portent aussi bien sur la reconnaissance que sur la réparation dues à la victime.
En cas de réparation financière, la décision est transmise au Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs (Fonds Selam), doté à ce jour de quelque 20 millions d’euros. Une dizaine de dossiers seront transmis dans les prochains jours à ce dernier, qui, par décision de son conseil d’administration, pourra procéder au versement auprès des victimes des sommes défiscalisées.
Reste, pour l’Inirr, à monter en puissance pour être en mesure de traiter les 1 500 demandes estimées d’ici à la fin de l’année. L’Inirr doit s’appuyer en effet sur une quinzaine de « référents », professionnels de l’écoute, pour accueillir les victimes dans un parcours personnalisé, mais il n’y a pour l’instant que deux salariés et sept bénévoles investis de cette mission qui accompagnent 17 % des demandeurs actuels, soit 123 personnes. Une mécanique inédite de justice réparatrice qui peut paraître compliquée, n’étant conçue qu’avec le souci des victimes, accueillies avec leur histoire propre. « La reconnaissance des faits de violences sexuelles est établie à partir des paroles de la victime et de la confirmation de vraisemblance par les représentants ecclésiaux concernés », précise la présidente de l’Inirr.
Cette personnalisation est à la base de l’accueil pour répondre au mieux aux attentes très diverses des victimes : « Pour moi, il est important d’être compté, identifié comme victime », a confié, par exemple, l’une d’entre elles. Une autre a souhaité recevoir une réparation financière qu’elle versera à une association.
« C’est principalement une reconnaissance et une réparation mémorielle qu’attendent les victimes », explique Marie Derain de Vaucresson. Reconnaissance qui peut être constituée par une lettre officielle, une rencontre avec l’évêque du diocèse concerné ou une médiation qui doit permettre de rétablir un lien aussi serein que possible de la victime avec l’Église.
Paroles « Apurer le passé » Antoine Garapon, Président de la Commission reconnaissance et réparation (CRR)
« Après avoir rencontré les Frères de Saint-Gabriel à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), j’étais à Toulouse les 30 et 31 mai avec les dominicains. Travailler avec les congrégations et regrouper les victimes permet d’avancer. Tout le monde veut en finir avec ces drames, non pas oublier, mais apurer le passé. Les congrégations ne sont audibles qu’à condition d’avoir fait ce travail. Sinon, elles sont constamment sur le qui-vive, se demandant si, un jour, une affaire ne va pas sortir… Elles ne traitent plus ces dossiers comme un scandale à éviter, mais comme une occasion d’un possible enseignement : “Pourquoi n’avons-nous pas compris qu’il se passait chez nous quelque chose de très grave ?” Engager des études historiques apaise la mémoire et répond au fantasme du complot et du silence. »
Recueilli par Christophe Henning